Tout serment est en même temps un engagement moral. Quiconque prête serment, quel que soit le contexte, s'engage sa parole et son attitude, conscient des obstacles, des défis parfois immenses à relever. Aussi, ce qui est vraiment difficile, et en même temps honorable, n'est-il pas l'acte de prêter serment en lui-même, mais bien de respecter, sans aucune réserve, librement et spontanément, la parole donnée.
Aujourd'hui est l'un de ces jours où nous nous souvenons d'un serment exceptionnel, qui n'est pas né d'une, mais de millions de décisions individuelles qui, combinées dans notre conscience sacrée de peuple, ont confirmé la volonté collective de suivre sans dévier la voie choisie de la justice, et d'ériger les idées comme principal champ de bataille.
Un acte barbare, comme il y en a peu, avait déclenché l'indignation de ce peuple. L'enlèvement d'un enfant cubain, retenu contre son gré [aux États-Unis], séparé de son père et de sa famille, grossièrement utilisé comme monnaie d’échange et de corruption par la mafia anti-cubaine, par les ennemis acharnés de la Révolution, lança l’Île dans la bataille pour son retour.
Les places de tous les coins du pays se transformèrent en tribune ouverte, et la revendication collective de : « Libérez Elian ! » fut, en même temps, une dénonciation de la Loi d’ajustement cubain, – un encouragement au départ illégal des personnes –, mais aussi de toutes les manœuvres, toujours présentes, de déstabilisation de la nation.
C'est dans ce contexte, et sous la direction de Fidel, que le peuple cubain s’est rendu le 19 février 2000 au bois de Mangos de Baragua. Le symbolisme du lieu, où l'intransigeance révolutionnaire d’Antonio Maceo avait sauvé l'honneur de l'Armée de libération, [15 mars 1878], servit de source d'inspiration et de sagesse nourricière pour adopter cette même position irréconciliable, cette fois face à un ennemi différent, mais conduit par le même principe que la paix sans liberté n'admettait pas de négociations et que les atteintes à la dignité de ce peuple ne passeraient jamais inaperçues.
Cause commune
Avec la fermeté de l'héroïque leader Mambi, et se sachant l'héritier et le continuateur de sa vie à une autre époque, Fidel éleva la voix en ce jour glorieux. De nombreuses vérités sont alors apparues clairement. « La lutte pour le retour de l'enfant cubain kidnappé est devenue le premier épisode d'une lutte beaucoup plus longue (...) elle marque le moment où se déclenche la grande bataille qui nous attend pour mettre fin aux causes qui ont donné lieu à un événement aussi cruel et douloureux. Que vaudrait le simple retour de cet enfant si demain, après-demain, n'importe quel jour de n'importe quelle semaine, n'importe quel mois ou n'importe quelle année, un autre Elian, des dizaines d'Elian, des centaines d'Elian, des milliers d'Elian, pouvaient disparaître dans les eaux turbulentes ? »
Nous n'oublierons jamais la cause qui nous a unis. Il reste encore dans nos mémoires – y compris de ceux qui, encore enfants, comprirent la raison de cette lutte et se sentirent pour la première fois partie prenante de quelque chose qui les dépassait – les images vivantes des rassemblements de masse, de la fermeté de Fidel sous la pluie battante, avec le peuple à ses côtés. Le pupitre d’Elian resta vide de toutes les salles de classe cubaines, et ses compagnons furent tous les enfants de ce pays.
Cette bataille inlassable a porté les meilleurs fruits. Cet enfant, devenu peuple, a pu grandir aux côtés de son père, il a pu embrasser l'architecte principal de chaque jour d’inquiétude causé par son absence. Mais comme nous l'avions juré, son retour n’a pas été pas une fin, ce fut un nouveau départ, et après des mois ode bataille sans répit, nous avons compris une fois de plus que l'unité était le fondement de notre force.
Un serment pour aujourd'hui
25 ans plus tard, chaque parole signée par le peuple cubain lors du Serment de Baragua reste d’actualité, tout comme l’est le blocus, la campagne visant à discréditer l’œuvre sociale que nous défendons, le harcèlement de nos jeunes générations pour qu'elles renoncent pas à leur identité et, ce faisant, au sentiment de cubanité.
Le contexte est défavorable, non seulement en raison de la manière dont les « bons voisins » ont intensifié leurs hostilités contre Cuba, mais aussi en raison des énormes différences qui se profilent dans notre monde, du fait de l'instabilité des pouvoirs, de l'extrême fragilité de la paix.
La réalité est convulsive, et de ce fait la détermination qui nous accompagne est d'autant plus grande. Nous dépasser, nous reconstruire, refonder dans un effort partagé, sans perdre ni notre essence ni nos racines, est une conviction qui nous convoque, nous occupe et nous renforce.
Lorsque nous revenons à ce jour mémorable, nous comprenons que les paroles prononcées à Baragua auraient très bien pu être écrites aujourd'hui car, plus que des lignes sur le papier, elles sont la traduction de ce que nous sommes, des valeurs qui nous distinguent, de notre façon d'être et de vivre. Nul besoin d'une abstraction excessive pour entendre la voix du commandant [Fidel] dire, à nouveau :
« Cuba se découvre elle-même, sa géographie, son histoire, ses intelligences cultivées, ses enfants, ses jeunes, ses professeurs, ses médecins, ses professionnels, son énorme œuvre humaine (...) ; elle a plus que jamais confiance en elle-même ; elle comprend son rôle modeste mais fructueux et prometteur dans le monde d'aujourd'hui. Ses armes invincibles sont ses idées révolutionnaires, humanistes et universelles. »
Le serment de Baragua a été, et demeure, la confirmation que Cuba n'a jamais conçu la souveraineté et le progrès si, comme Marti nous en a averti, elle ne contribue pas également par cet effort à la souveraineté et au progrès des autres. Nous sommes devenus la voix, y compris de ceux qui n'en ont pas, ce qui montre que notre serment fut aussi une attitude à l'égard des autres, des humbles, des sans-protection.
Nous sommes toujours mis à l’épreuve, et nous le savons, mais le renoncement n'est pas inscrit dans nos gènes. Comme ils l’ont fait durant les jours les plus complexes de la réclamation du retour d'Elian, ils misent à nouveau sur la fatigue, sur l'étouffement, sur des pressions de plus en plus inhumaines : « C’est bien mal connaître notre peuple ! »
Un serment comme celui-là, que nous avons signé par amour et par conviction, que nous avons embrassé par héritage patriotique et par sens de la justice, que nous conservons intact, par devoir et par engagement envers l'Histoire, ne sera jamais lettre morte qu'un envahisseur pourra fouler aux pieds.
Cet homme immense le savait bien : « Notre lutte prendra mille formes et styles différents. Les masses seront toujours prêtes, la transmission du message sera permanente, les forces et les énergies continueront à s'accumuler et à s'économiser pour chaque minute nécessaire ou décisive ».
Si à ce stade, ils ne l'ont pas compris, s'ils persistent à défendre la cause perdue, c'est par pure arrogance et par orgueil blessé. Notre serment fut une nouvelle preuve de leur échec, et nous l'avons prêté à Baragua, parce qu'avec ceux qui menacent la liberté de la Patrie, soyez-en sûrs : « Nous ne nous comprenons pas ! » (Texte et photo: Granma)