La Havane, 5 août.- Dans un terrain de jeu quelconque au cœur d’un quartier havanais au début des années 60, un enfant torse nu, la batte sur l’épaule, court après une balle usée.
Au fond, au milieu de la brume du soleil et de la poussière, une silhouette coiffée d’une casquette olive observe, immobile. Ce n’est ni un fantôme ni une apparition: c’est Fidel. Il a tout vu et était convaincu que le sport était sacré.
On dit qu’un pays peut lui aussi être entraîné. Qu’une nation peut se modeler comme un muscle et que la volonté collective peut avoir des jambes de sprinteur, des poings de boxeur et l’endurance d’un marathonien.
Fidel Castro Ruz, le leader historique de la Révolution cubaine, qui avait rêvé dans sa jeunesse de gloires au basketball et au baseball, comprit que le sport pouvait être plus que cela: il pouvait être un destin.
Le 23 février 1961, l’Institut National des Sports, d’Éducation Physique et de Loisirs (Inder) a été fondé. Le sport a cessé d’être un luxe réservé aux clubs privés pour devenir un droit. La Révolution, qui avait alphabétisé son peuple, a désormais pris en compte le corps de la population. Elle le voulait agile, en bonne santé, coordonné, discipliné. Mais par-dessus tout, elle le voulait à elle.
«Nous ne voulons pas de champions fabriqués au détriment de la santé ou de la dignité humaine», répétait Fidel lors de longues réunions qui se prolongeaient jusqu’à l’aube. Cet homme, responsable de guider le pays vers une transformation politique, sociale et culturelle, était très clair sur l’importance du sport et a créé un mécanisme qui a commencé à tout faire bouger.
Les EIDE, les ESPA, le Fajardo… sont devenus des noms qui se répétaient comme des mantras dans les provinces, comme des rites de passage. Le Commandant ne voulait pas de promesses, il voulait des processus. Du socle au podium, le chemin devait être propre, scientifique, collectif. Une médaille n’était que la partie émergée de l’iceberg d’un pays entraîné.
À chaque kilomètre, à chaque combat, à chaque plongeon depuis une plateforme, on voyait la main invisible de ce stratège en chef qui examinait des rapports, visitait des installations, connaissait les athlètes par leur nom et posait des questions techniques qui déconcertaient les entraîneurs.
Cuba pleura d’émotion et de gratitude. Non seulement pour les médailles d’or qui commencèrent à orner la poitrine des athlètes lors des compétitions internationales, mais aussi parce que ses champions ne trahirent pas la cause. C’était un message doré que Fidel a su s’approprier: “L’argent ne s’achète pas la gloire”.
Les Jeux Olympiques de Barcelone de 1992 arrivèrent, et Cuba se classa cinquième mondialement. Sans franchises, sans contrats mirobolants. Seulement du talent, de la conviction et un territoire entier respirant au rythme de ses athlètes. À chaque victoire, un drapeau. Sur chaque podium, un plaidoyer.
Le sport était une diplomatie sans cravate, une révolution en baskets. Pendant que certains défilaient avec des sponsors, les Cubains défilaient avec sacrifice. Et Fidel, dans sa tranchée de papiers et d’écrans, suivait chacun de leurs pas.
Puis, le tableau s’assombrit. Le Période Spéciale arriva. Pénurie, coupures de courant, incertitude. Certains sont partis. D’autres ont résisté. Le sport a aussi saigné, mais il n’a pas sombré.
Fidel a tenu la barre. Il a protégé les écoles, cherché des alliés, multiplié les entraîneurs à travers l’Afrique, le Venezuela, le Brésil. Ce n’était pas seulement de la politique étrangère, c’était une question de survie. Il comprenait que si le sport s’effondrait, c’était quelque chose de bien plus profond qui chutait: la fierté d’avoir construit quelque chose de différent.
Aujourd’hui, sur chaque médaille olympique qui brille sous la lumière de Paris, plane une ombre protectrice. Celle de celui qui croyait que courir, sauter, lancer, se battre… pouvait aussi être une forme d’émancipation.
Les chiffres sont froids: 243 médailles olympiques, dont 85 en or. Mais l’histoire est brûlante. Elle est faite de levers de soleil dans les gymnases, d’équipements raccommodés, de larmes et de drapeaux. Et d’une conviction inébranlable: le sport n’est pas un privilège, c’est un droit pour tous. Ce n’est pas un but, c’est un chemin. “Les athlètes sont les héros de la patrie”, disait Fidel.
Dans ce terrain de jeu où a commencé cette chronique, l’enfant bat au sol, la balle s’envole, et depuis un coin de l’histoire, une voix ferme lui murmure que l’avenir se défend aussi par le corps. Et Cuba continue de courir. (Texte et photo: ACN)