Capitalisme, médias, marchandise, monopoles médiatiques

L'exagération en embuscade


Des hyperboles pour tout ? Lorsque l'exagération contamine les processus d'expression, la réalité tend à paraître anodine et insuffisante. Dans certains pays, elle est devenue un poison idéologique qui traverse la vie quotidienne en toute impunité. Est-ce la une exagération ?

Le capitalisme a trouvé dans les exagérations une force narrative stratégique, qui a formaté la logique de la marchandise pour transformer le plus anodin ou le plus inconséquent en « merveilleux ».

C’est ainsi que le « consommateur » a été éduqué avec un modèle narratif qui, de ressource expressive, est devenu une condition expressive.

Cela explique pourquoi la presque totalité des modes, des moyens et des relations de production de sens, dans les monopoles médiatiques hégémoniques, sont des sources aberrantes d'exagérations.

Nouvelles, opinions, publicités, entretiens ou éditoriaux... sont générés, avec une obéissance irresponsable et irrationnelle, en se basant sur l'exagération de tout, y compris en exagérant les exagérations.

Vu d’une perspective culturelle, la ressource de l'exagération contient des flux idéologiques fonctionnels au principe général de la négation de la réalité.

En exagérant actions au football, recettes de cuisine, gros titres des journaux, médicaments, maladies... (tous les prétextes sont bons), on éclipse la médiocrité que le capitalisme impose aux classes subalternes.

De même que le capitalisme est un système corrompu par définition, c'est une machine à médiocrité et à misère, qui commence par frapper les salaires, puis frapper aussi l'imaginaire collectif.

La plupart des « services publics », les discours politiques, les modèles administratifs, la justice et ses procédures, les méthodes éducatives hégémoniques et, bien sûr, les religions de toutes sortes sont médiocres.

Par définition, un système qui exclut la majorité des êtres humains d'une vie digne est médiocre ; un système économique et idéologique fondé sur le pillage des matières premières et une main-d'œuvre bon marché au profit de quelques-uns, au demeurant très médiocres, y compris avec ses inventions technologiques les plus étonnantes, est médiocre.

Ne nous y trompons pas. La médiocrité du système est, en même temps, une arme de guerre idéologique que les peuples subissent et à laquelle ils résistent. La médiocrité du système se généralise à travers le mitraillage d'exagérations qu’ils ont, de plus, inoculé aux peuples maltraités par des hordes d'exagérations médiatiques.

Mais on ne saurait juger les victimes à travers la force de leurs bourreaux. Le pourcentage de pauvreté, l'inégalité dans la distribution des richesses, les dépenses mondiales en armement, le gaspillage en frais de publicité, la prolifération des églises et des dogmes, l'exclusion, le racisme et le nazi-fascisme sont exagérés.

Dans les modèles narratifs hégémoniques, on généralise l'abus des exagérations sélectives, car cela permet de dissimuler la réalité et toute sa brutalité.Dans le modèle toxique des exagérations figure également le condiment de mimiques et des gestes parasites. Nous subissons ainsi le spectacle inutile de ceux qui, pour raconter des banalités et parler de futilités, déploient une théâtralité gênante, parce que strictement inutile.

Ils sont partout, et nombreux sont ceux qui grandissent en croyant que ces simagrées langagières et corporelles ajoutent du charme, de la sympathie et de la séduction à toute banalité, née d'un mot d'esprit occasionnel.

Et ils vivent, convaincus, avec cette tromperie, dont souffrent, parfois en silence, ceux qui la supportent.

Dans la multiplication des stéréotypes bourgeois et des exagérations (ils sont tous les mêmes), le caractère idéologique négationniste, déguisé en style emphatique, parfois sympathique, pour exprimer la nullité et l'inconséquence devient évident.

Lorsque la voix devient plus aiguë pour insister, lorsque les yeux se plissent artificiellement, lorsque que les mains et l’attitude corporelle sont agitées pour que ce qui est dit paraisse « important », il faut être vigilant. Sauf s'il s'agit d’œuvres de théâtre, bien sûr.

Même les choses importantes, qui ne nécessitent pas d'exagération, se diluent, parce que le récit devient plus importante que les faits. Qu’ils appartiennent à la vie privée ou à des événements de masse.

Il est vrai que le percement d’une dent est important pour tout être humain, mais si on le raconte de manière épique, même la quenotte du bébé devient antipathique, parce qu'elle a été recouverte de toxines idéologiques.

Il en va de même pour les couches, les fiançailles ou les vertus douteuses des anecdotes familiales. La vie est importante en soi et n'a pas besoin d’exagérations.

Nul besoin de gesticulations scéniques pour saluer une personne aimée. Il suffit d'être sincère, ce qui est rare, d'ailleurs. Nul besoin d'un récit épique pour expliquer une promenade, ni d'un débordement émotionnel, avec des larmes ou des rires, pour raconter ce que font les « politiciens », qui, par ailleurs, devraient être les champions de la retenue.

Il est clair que, même pour les dommages causés aux récits populaires, ce qu’il y a de plus dangeureux dans les exagérations se trouvent dans les dispositifs de guerre cognitive financés par l'establishment.

S'ils exagèrent pour vendre un réfrigérateur, tout comme pour vendre de l'aspirine, l’important finit par être l'exagération, plutôt que le produit.

Et ils la vendent très cher, car il s'agit d'un produit de propagande destiné à supplanter tout ce que la réalité n'est pas.

C’est ainsi que l’on exagère aussi bien pour les apologies que pour les dénigrements. Rien de plus fréquent qu'une exagération pour disqualifier une interpellation. Un vieux truc.

Les exagérations sont aussi une forme de tromperie et de sous-estimation. Un attirail verbal et scénique pour éblouir le public ou l'interlocuteur, peut-être eux aussi addicts aux exagérations.

S'il était possible de remettre en question les causes et les formes des milliers d'exagérations qui nous assaillent quotidiennement, s'il était possible de nous désintoxiquer dans un délai relativement bref, il est possible que nous traversions un quelconque syndrome de sevrage dans lequel la vie elle-même nous semblerait peu intense.

De même qu'il est difficile d'imaginer ce que sera le monde sans le capitalisme, il peut être également coûteux de revenir à un point des relations humaines sans exagérations.

Et ceci n'est pas une apologie du neutre, du léger ou du fade. C'est seulement une invitation à l'imagination hypothétique, sur une base scientifique sémiotique, visant à combattre l'idéologie de la classe dominante, la manipulation symbolique et toutes les apparences avec lesquelles elle infiltre, avec des exagérations, y compris les territoires les plus intimes.

Tout n'est pas « merveilleux » et tout n'est pas « exceptionnel », mais quand le quotidien devient magique, c'est qu'il y a derrière une lutte qui ne vient pas des bourgeoisies, mais des bases sociales qui s'organisent pour se libérer des desseins de l'exploitation humaine, avec toutes ses embuscades et dans tous ses genres. (Texte et photo: Granma)


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