
La Havane, 26 novembre - Dans ce contexte géopolitique mondial, il est légitime de se demander : quelle est la place du Venezuela dans l’agenda impériale ? Pendant la campagne électorale américaine, Donald Trump a répété publiquement qu’il faudrait envahir le Venezuela pour « récupérer » les gisements pétroliers.
Nombreux sont ceux qui soutiennent que Trump n’a pas déclenché de guerre durant son mandat. Mais il convient de s’interroger : que s’est-il passé au Venezuela ? Son administration a déployé une guerre nouvelle, une guerre hybride, et annonce désormais une opération de plus grande envergure. Derrière le différend territorial entre le Guyana et le Venezuela au sujet de l’Esequibo se cachent les intérêts de l’entreprise pétrolière américaine ExxonMobil, qui cherche à prendre le contrôle direct des champs pétrolifères vénézuéliens.
Il faut rester vigilant, car chaque fois que les États-Unis planifient une guerre, ils fabriquent les prétextes nécessaires par le biais de campagnes (dés)informations et de fausses nouvelles. Rappelons l’exemple de la Libye : sous le couvert de l’OTAN et avec la complicité de l’ONU, une prétendue « crise humanitaire » a été inventée, et les jihadistes de l’empire ont été instrumentalisés comme prétexte pour envahir le pays, assassiner Mouammar Kadhafi et s’emparer de ses oléoducs, détruisant ainsi la plus prospère économie d’Afrique. Dans cette optique, il ne faut pas permettre aux États-Unis de répéter l’histoire en pillant le pétrole de l’Esequibo via la mer des Caraïbes. Ils pourraient inventer n’importe quel prétexte pour justifier une agression directe contre le Venezuela. Ce n’est qu’un des nombreux scénarios possibles.
Il existe toujours des facteurs contingents et imprévus capables de modifier le cours de l’histoire. On ne peut exclure une éventuelle guerre civile aux États-Unis, pouvant conduire à l’effondrement de l’empire. Des analystes de divers horizons reconnaissent que la polarisation interne est si profonde que cette issue est plausible, d’autant plus que la majorité de la population possède des armes et que des milices légalement organisées existent. Lors des premiers jours de la pandémie de Covid-19, les files pour acheter des armes s’étendaient sur plusieurs pâtés de maisons. Une guerre civile interne modifierait radicalement l’hypothèse d’un conflit militaire contre le Venezuela. Cependant, les tendances actuelles indiquent que l’escalade impérialiste continue sa progression.
Nous insistons : « en guerre annoncée, on ne meurt pas ». Le Venezuela constitue une ligne rouge que tous ceux qui se réclament de la gauche doivent défendre. Les ambiguïtés et complicités de certains pseudo-gauches face à l’agression impérialiste contre le Venezuela doivent être dénoncées sans hésitation. Il est donc nécessaire de résister, comme l’a fait l’Iran : en anticipant et en se préparant à d’éventuels scénarios, afin que l’empire américain redoute et soit contraint de freiner ses plans avant de se lancer dans une aventure militaire.
Alors, pourquoi le Venezuela ? La réponse la plus évidente réside dans ses ressources naturelles, indispensables à la concurrence internationale sur le marché mondial capitaliste, notamment dans l’industrie militaire, l’électronique et le développement de l’intelligence artificielle. Cependant, certains événements accélèrent la montée des tensions contre le pays caribéen. Nous avons déjà mentionné la chute de la Bolivie comme un moment clé : après ce coup d’État, il ne reste plus que le Venezuela comme bastion de résistance. À cela s’ajoute la menace imminente d’une guerre contre l’Iran.
Le sionisme pousse à l’escalade du conflit contre l’Iran, ce qui affectera gravement la production et la distribution pétrolière dans le Golfe Persique, la plus grande zone productrice du globe. Le résultat sera une hausse brutale du prix du pétrole brut. Bien que les États-Unis disposent encore de cinq ou six années de production pétrolière intérieure, face à cette situation, ils seront contraints de « récupérer » et de contrôler des champs pétrolifères de grande importance stratégique. C’est là que le Venezuela revient dans la partie.
Il faut prêter attention aux mots utilisés par l’empire. Il y a quelques années, les invasions étaient justifiées par la « lutte contre le communisme ». Après la chute du bloc soviétique, la nouvelle justification a été la lutte contre le « terrorisme islamique », autre fabrication de la CIA. Dans le cas du Venezuela, ils ne l’accusent ni d’être communiste ni d’être un État islamique, même si le gouvernement se proclame socialiste et entretient des relations avec l’Iran. Ils inventent donc une nouvelle narration : le Venezuela serait un « État narco-terroriste ».
Les États-Unis ont toujours construit ce type d’arguments pour légitimer leurs invasions militaires. Cela constitue une constante dans leur histoire, du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Toutes les guerres dans lesquelles ils se sont engagés ont été précédées d’auto-attaques ou de provocations fabriquées de toutes pièces afin de se présenter comme des victimes face au monde et justifier ainsi leurs interventions. Ce modèle remonte aux guerres hispano-américaines de 1898, lorsque les États-Unis ont fait exploser leur propre navire, l’USS Maine, amarré dans le port de La Havane, tuant 266 marins et accusant l’Espagne. Avec ce prétexte, et avec le soutien de la presse à sensation, ils ont justifié la guerre pour s’emparer des colonies espagnoles dans l’Atlantique et le Pacifique.
Les fausses nouvelles ne sont pas une invention moderne ; seuls les moyens de communication ont changé. Il ne faut pas oublier que les États-Unis sont un empire fondé sur le mensonge. Les guerres sont planifiées plusieurs années à l’avance ; ce ne sont pas des décisions prises à la va-vite. Tel a été leur modus operandi tout au long du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui. Peu leur importe le nombre d’Américains morts lors de ces auto-attaques ; au contraire, plus il y a de victimes, mieux fonctionne la narration du martyr national : « ils ont tué trois mille personnes lors de l’attentat contre les Tours Jumelles ».
Il faut donc prêter attention à leurs mots. Ils ne parlent pas de « trafiquants de drogue », mais de « narco-terroristes ». Ce n’est pas un hasard. La sélection des termes est étroitement liée au système juridique et normatif américain, que beaucoup en Amérique latine et dans les Caraïbes ignorent et qui, par conséquent, ne saisissent pas la gravité de cette terminologie. Si quelqu’un devait choisir entre être accusé de narcotrafic ou de terrorisme aux États-Unis, je lui conseillerais de choisir la première option. Pourquoi ? Parce que celui qui est accusé de terrorisme perd automatiquement la présomption d’innocence et le habeas corpus n’a plus d’effet. Dans ce cas, il peut être emprisonné à Guantánamo, disparaître légalement et se voir refuser à vie le droit à un procès. En ce sens, l’accusation de terrorisme a des conséquences juridiques dévastatrices pour les personnes aux États-Unis.
Mais à l’échelle internationale, être qualifié de « narco-État » peut aussi entraîner des attaques préventives, conformément au cadre juridique américain. En revanche, les pays accusés d’être des « États narco » ne peuvent pas être envahis sur cette base ; d’autres mécanismes de pression légale sont utilisés. Cependant, lorsqu’un pays est qualifié de « narco-terroriste », cette dénomination leur fournit la justification juridique pour attaquer ou envahir sans avoir été préalablement agressés.
Le prétendu « Cartel des Soles » n’apparaît ni dans les rapports récents de la DEA ni dans ceux des Nations unies. C’est une invention supplémentaire. 90 % du trafic de drogue à destination des États-Unis transite par l’océan Pacifique, et non par l’Atlantique. Face à cette manipulation, il est urgent de développer une contre-offensive communicationnelle pour informer le monde sur ce que fait l’empire contre le Venezuela. Même les récits concernant de supposées embarcations bombardées sont absurdes : avec le seul poids du carburant nécessaire pour atteindre la Floride, ces embarcations couleraient, et encore plus si l’on ajoutait des dizaines de kilos de drogue.
Lors de l’invasion de la Grenade en 1983, l’empire a inventé que les étudiants américains de la faculté de médecine étaient menacés et agressés par le gouvernement révolutionnaire. Avec cet argument, les États-Unis ont envahi l’île et « sauvé » leurs étudiants (Opération Fureur Urgente). Mais, à leur arrivée chez eux, lorsque la presse les a interviewés, les jeunes ont déclaré qu’ils n’avaient jamais été en danger ni vécu de situation violente. Il a fallu leur retirer les micros, car leurs témoignages démontaient la fable. Il en a été de même lors de l’invasion du Panamá en 1989 : des marines et soldats américains se sont déguisés en membres de la Guardia Nacional panaméenne et ont attaqué les bases militaires, en filmant la scène pour présenter ensuite les images comme preuve. Avec ce montage, ils ont justifié l’invasion et l’occupation du pays.
Certains soutiennent que les récents incidents contre les embarcations accusées de transporter de la drogue seraient une fabrication via intelligence artificielle ; d’autres affirment que les images sont authentiques, mais qu’elles n’auraient pas été prises en eaux territoriales vénézuéliennes. Ce récit est absurde, car aucune preuve ne relie le Venezuela au trafic de drogue. L’ONU a déclaré le pays zone exempte de narcotrafic. Tout cela ressemble à un film hollywoodien de série Z, tellement il est mauvais.
Nous assistons à la « miamification » de la politique étrangère américaine, une application de la doctrine dite Rubio, qui cherche à tout prix renverser les gouvernements souverainistes. Le lobby cubain basé à Miami — ouvertement anticommuniste, anti-souveraineté et pro-colonial — profite de la décadence impériale et de la crise des ressources pour orienter la politique extérieure des États-Unis vers la chute des gouvernements souverainistes. C’est pourquoi l’offensive contre Cuba et le Venezuela a atteint des niveaux sans précédent, accompagnée de sanctions qui se multiplient jusqu’à l’absurde.
Aux États-Unis, le ras-le-bol face aux guerres inutiles qui ne profitent qu’à sept sociétés du complexe militaro-industriel ne cesse de croître. Alors que le pays dépense des milliards de dollars dans des conflits qu’il ne peut gagner, son économie se désagrège et la population en subit les conséquences. Même au sein du mouvement MAGA, d’extrême droite et fidèle à Trump, prédomine un sentiment antiguerre : ils en ont assez que des ressources publiques soient gaspillées dans des guerres qui enrichissent quelques privilégiés tout en appauvrissant la majorité. Le président avait promis de ne pas engager les États-Unis dans un nouveau conflit militaire. Mais aujourd’hui, il se trouve entre le marteau et l’enclume. D’un côté, le mouvement MAGA — qui l’a porté à la présidence —, raciste, xénophobe et fasciste, mais résolument antimilitariste ; de l’autre, les sionistes qui ont financé sa campagne électorale. C’est cette dualité : entre la base électorale qui le soutient et les groupes de pouvoir sionistes qui le financent.
L’accord avec les sionistes repose sur deux axes : la Palestine et l’Iran. Trump l’a accepté et on lui demande maintenant de le respecter. Il a ouvertement soutenu le génocide à Gaza, mais affiche une certaine prudence envers l’Iran. Il sait qu’une guerre contre l’Iran déclencherait un conflit mondial et qu’en pleine décadence impériale des États-Unis, cela serait une entreprise impossible à soutenir.
Trump a tenté de respecter partiellement les exigences des sionistes, mais des frictions sont apparues avec Netanyahu. Les factions les plus radicales d’Israël estiment que Trump ne respecte pas le pacte comme ils l’attendaient. Par exemple, lorsque les États-Unis ont lancé les trois bombes sur les installations nucléaires iraniennes dans le cadre de la « Guerre des 12 jours », Trump pensait que le problème était réglé, mais les sionistes ont répondu immédiatement : « cela ne fait que commencer ».
Dans une interview accordée par Atilio Borón, nous avons évoqué la possibilité qu’une opération de fausse bannière soit organisée contre Trump pour justifier une guerre contre l’Iran, ou qu’il soit menacé de voir divulgués les documents secrets liés à l’affaire Epstein. Moins de trente jours plus tard, des documents concernant Trump et son épouse Melania ont commencé à fuiter. Le message du sionisme était clair : « tu t’alignes, ou nous t’alignons ». Pendant ce temps, le mouvement MAGA le pousse dans le sens opposé, en lui demandant de rester en dehors de toute guerre. Ainsi, Trump se retrouve coincé : entre la pression du capital sioniste et la résistance de sa propre base antimilitariste.
Enfin, la pression interne de son propre mouvement MAGA contre la poursuite des guerres inclut l’opposition à une éventuelle intervention militaire contre le Venezuela, ce qui constitue une variable que personne n’avait anticipée il y a quelques mois. Cependant, aujourd’hui, Trump semble davantage répondre aux intérêts du lobby sioniste et des néoconservateurs du complexe militaro-industriel américain, qui soutiennent une intervention contre le Venezuela, qu’à son propre électorat MAGA, opposé à toute nouvelle aventure militaire. Cette contradiction pourrait avoir des conséquences importantes pour l’empire en cas de décision d’attaquer le Venezuela. Comme en Irak il y a plus de vingt ans, la majorité des Américains s’oppose à cette guerre. La différence aujourd’hui réside dans le fait que l’empire est en déclin, profondément endetté (37 trillions de dollars) et que la population américaine en a assez des guerres inutiles qui ne font qu’ajouter des dettes à un gouvernement fédéral déjà en faillite. La solidarité avec le Venezuela devient aujourd’hui indispensable. Il est crucial d’organiser une mobilisation continentale devant les ambassades américaines pour s’opposer à toute attaque militaire contre le Venezuela. (Texte et photo: Cubadebate)